Elégie
Dis-moi, pauvre peuple au berceau,
Peuple esclave, qui donc te berce?
Est-ce celui qui autrefois perça
Le flanc du Sauveur sur la croix?
Ou celui qui te chante depuis tant d'années:
"Si tu supportes tout, tu sauveras ton âme."
Si ce n'est lui, c'est son semblable,
Un fils de Loyola, un frère de Judas,
Traître et menteur, cruel annonciateur
De nouvelles souffrances pour les pauvres gens,
Un Kirdjali, saisi d'une folie nouvelle,
Il a vendu son frère, il a tué son père.
Est-ce lui, réponds-moi... Mais le peuple se tait.
Rien que le bruit des chaînes! nulle voix ne monte
D'entre elles pour clamer l'espoir, la liberté.
Le peuple renforgné se borne à désigner
La horde des élus, un ramassis de brutes,
Privilégiés qui ont des yeux pour n'y point voir.
Le peuple les désigne et la sueur sanglante
De son front tombe sur la pierre du sépulcre.
La croix s'enfonce en plein milieu de sa chair vive
Et la rouille ronge ses os.
On dirait qu'un vampire prend la vie du peuple;
Le traître à l'étranger s'unit pour le festin.
Le pauvre esclave endure tout - et nous,
Sans honte et en silence, nous comptons les jours.
Le temps passe et toujours, le joug pèse à nos cous,
Et le peuple traîne ses chaînes.
Serions-nous pleins de foi pour la tribu des brutes,
Puisque nous attendons notre tour d'être libres?
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