Hadji Dimitre
Il est toujours vivant là-haut, sur le Balkan.
La poitrine trouée d'une blessure profonde
Il gît et gémit, tout couvert de sang;
Frappé dans sa jeuness, le héros.
Il a jeté son fusil inutile,
Son sabre s'est brisé dans l'ardeur du combat.
Et sa tête vacille et ses yeux s'obscurcissent
Et sa bouche maudit l'univers tout entier.
Il gît notre héros, tandis qu'en haut du ciel
Le soleil, arrêté, flamboie et se courrouce.
Dans la plaine, très loin, chantent les moissonneuses.
Et le sang se répend, le sang coule sans cesse.
C'est l'époque de la moisson... Chantez, esclaves,
Plus tristement! Et toi, soleil, brûle plus fort
Sur la terre asservie! Le héros va mourir,
Il va aussi mourir... Mais tais-toi, ô mon cœur.
Celui qui succombe pour la liberté
Ne meurt pas! Sur lui pleurent
La terre et le soleil et toute la nature!
Et les poètes le célèbrent dans leurs chants!
Le jour, l'aigle l'abrite à l'ombre de ses ailes.
Et le loup vient lécher tout doucement ses plaies.
Et le faucon, l'oiseau des héros fordroyants,
Veille jalousement sur le héros, son frère.
Voici que le soir tombe et qu'apparaît la lune,
Le ciel va se remplir d'étoiles, goutte à goutte.
La forêt bruit, le vent imperceptible souffle.
Tout le Balkan chante le chant des haidouks.
L'heure sonne où les nymphes en parures blanches
Viennent gracieusement se livrer à la danse,
D'un pied léger frôlant à peine l'herbe verte,
Puis auprès du héros se posent, attentives.
De simples des prairies, l'une panse ses plaies,
L'autre humecte ses mains et ses tempes d'eau fraîche.
Et celle qu'il regarde, c'est la plus rieuse,
Sur la bouche lui donne un baiser fugitif.
Dis-moi, ma sœur, où est mon second, Karadja?
Où sont les miens, où est ma droujina fidère?
Où sont-ils? Répond-moi, puis emorte mon âme,
C'est ici que je dois et que je veux mourir.
Elles frappent des mains, s'enlacent et s'envolent
Dans la nuit transparente où leurs chansons résonnent;
Elles cherchent aux cieux, jusqu'au lever du jour
L'âme de Karaja.
L'aurore est apparue! Là-haut, dans la montagne,
Le héros gît, son sang coule, coule toujours.
Le loup lèche à nouveau sa blessure brûlante
Et le soleil flamboie.
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